La pauvreté augmente, c'est sûr ! Mais est-on si sûr ?

14 juin 2012  | 3 commentaires

Catégories: Politique

Attention, âmes charitables s'abstenir... Dans les lignes qui suivent vont être tenus des propos sur la pauvreté qui choqueront les plus politiquement corrects. Je sais déjà que j'encours les foudres des bien pensants. Je le sais car je me suis déjà fait incendier plusieurs fois en tenant les propos qui suivent, notamment lors d'une discussion enflammée avec un ami. Il se reconnaîtra, je le salue bien bas, c'est lui qui m'a motivé à essayer d'y voir plus clair sur le sujet. Merci à lui !


On entend souvent dire que la pauvreté progresse, que le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter, que c'est de pire en pire et que ça devient insoutenable... Cette position conduit forcément à des débats intenses sur les politiques a conduire pour l'évolution de la France et de la Planète car d'autres pensent au contraire que le monde va de mieux en mieux, qu'on crée de la richesse de façon continue et que l'époque des famines et de la misère glisse progressivement derrière nous. Vous l'aurez compris, malheur à moi, je suis de ceux là... Je peux vous garantir que cette position est difficile a tenir car très glissante politiquement et souvent taxée d'être aveugle et égoïste (je vous promets, c'est du vécu).
Le problème, c'est que le débat est passionné et passionnant mais basé sur des sensations plus que sur des faits. Alors j'ai voulu vérifier les données chiffrées disponibles sur les sites des grands organismes de statistiques pour ne pas mourir idiot.

La mesure de la pauvreté est-elle fiable ?

Pour commencer, quand on parle de pauvreté, de quoi parle-t-on ? Le problème, c'est que dès le départ, les choses sont faussées car la mesure de la pauvreté est basée sur une définition mathématique très bizarre :

"En Europe, on utilise comme référence le revenu médian. C'est celui qui partage la population en deux : la moitié gagne ce revenu ou moins, la moitié a un revenu supérieur. Le plus souvent en France, le seuil de pauvreté est ainsi fixé à la moitié du revenu médian mais en Europe on utilise plutôt la barre de 60 % de ce revenu médian." (je cite ici l'observatoire des inégalités qui est considéré par beaucoup comme une référence en la matière).

Cette définition conduit au fait qu'on n'est pas pauvre dans l'absolu mais relativement aux autres. En gros : plus vos voisins sont riches, plus vous êtes pauvre ! Ce qui, si on y réfléchit bien, n'est pas la moitié d'un paradoxe, non pas que ce soit agréable de regarder les autres se pavaner en Aston Martin devant le Carlton au bras de créatures de rêve mais ça ne change rationnellement rien a sa situation bancaire personnelle...

C'est une erreur de mesurer la pauvreté avec cette méthode, car avec un tel calcul, vous pouvez avoir 10% de pauvres même si tout le monde roule en Porsche. Ca mesure les inégalités mais surement pas la pauvreté !

En réalité, il existe bien d'autres définitions des seuils de pauvreté, mais ils sont tout aussi arbitraires et ils conduisent à des erreurs de jugement très importantes. La preuve (selon l'observatoires des inégalités encore)
"Suivant le seuil de pauvreté, la proportion de pauvres varie du simple au double ! On peut considérer qu'il existe 3,6 millions ou 6,9 millions de pauvres : c'est beaucoup dans les deux cas, mais ce n'est pas la même chose..."

La pauvreté augmente-t-elle en France ?

Oui mille fois oui si on en juge par le nombre croissant de personnes qui vont aux restaurants du coeur. Et pourtant, malgré les définitions ci-dessus, dont on a vu le caractère complètement arbitraire, l'évolution de la pauvreté sur l'ensemble de la population va plutôt dans le bon sens ces dernières décennies. C'est l'INSEE qui le dit, ce n'est pas moi :
"Le nombre de ménages pauvres a baissé d'un tiers entre 1970 et 1997, alors que le seuil de pauvreté (établi à la moitié du revenu médian) a augmenté de deux-tiers pendant la même période" Source : http://gribeco.free.fr/spip.php?article36

C'est dommage, me direz-vous, ce sont de vieux chiffres... et pourtant l'INSEE récidive :
"Sur la période 1996-2004, la pauvreté monétaire suit une tendance à la baisse", écrit l'INSEE dans la dixième édition de son "Portrait social de la France", synthèse annuelle sur les évolutions économiques et sociales.

L'Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale le dit aussi dans le résumé de son rapport 2010 : "Après une diminution continue pendant plusieurs décennies, le taux de pauvreté monétaire s'est stabilisé au cours des annees 2000 à 13% au seuil de 60% du revenu médian." Source : http://www.onpes.gouv.fr/Le-Rapport-2009-2010.html

Pour finir, allons jeter un oeil à Wikipedia :
"Le taux de pauvreté de l'ensemble des ménages a fortement baissé depuis 30 ans, à la fois en mesure absolue (par rapport à un niveau de dépenses constant) et en mesure relative (par rapport au reste de la population) " Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pauvret%C3%A9_en_France

Si on observe non pas la pauvreté monétaire, mais la pauvreté en niveau de vie, on observe la même tendance a la décrue depuis 2004, date de mise en place de cette méthode qu'on peut espérer plus objective. Source : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/REVPMEN10b.PDF

Ca c'est pour la France.

Que donnent les chiffres au niveau du Monde ?

Là, c'est encore plus limpide :
"Selon un rapport de la Banque mondiale publiée le 26 août 2008, le nombre des pauvres dans le monde a diminué de 500 millions, et leur proportion dans la population totale est tombée de 52 % à 26 % entre 1981 et 2005." Source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pauvret%C3%A9#.C3.89volution_de_la_pauvret.C3.A9_dans_le_monde

Je crois qu'on peut difficilement être plus clair... La pauvreté diminue ! Alors bien sûr, les inégalités augmentent, mais c'est plus par le haut que par le bas. Formulé autrement, le nombre de riches augmente, ce qui par contraste rend plus importants les écarts avec les plus pauvres, qui pourtant le sont de moins en moins.

Alors je ne dis pas qu'il n'y a plus de pauvres, qu'il n'y a pas de familles dans le pétrin, qu'il n'y a pas de chômeurs en fins de droits qui mangeraient bien autre chose que des pâtes. Je ne dis pas non plus qu'on ne pourrait pas améliorer encore la situation et qu'il ne faut pas "s'indigner". Je le dis haut et fort pour qu'il n'y ait pas de malentendu : il faut oeuvrer dans ce sens sans relache et avec la plus grande détermination.

Mais pour le faire, évitons les faux arguments ! Et surtout évitons les postures intellectuelles : il est toujours facile d'avoir l'air grave, compatissant et généreux en noircissant les situations et en prédisant le pire. A l'opposé, soutenir que la situation s'améliore vous fait passer au mieux pour un gentil naïf, au pire pour un nanti aveugle et égoïste. Même si tous les faits et les chiffres le prouvent...

Petit message à mon ami qui a la langue bien déliée après quelques verres de Beaujolais : c'est dommage que nos discussions de comptoir ne puissent pas être illustrées par le web en direct, ça éviterait de perdre du temps en polémiques inutiles et ça nous permettrait de parler foot ou bagnoles !



3 commentaires
  • Commentaire par Jacques Malet
    01/15/2013 at 19:56
    Bonsoir,
    100% d'accord avec vous car je ne cesse de tenir les mêmes propos.
    Juste une remarque. Votre démonstration "que" logique et statistique, ce qui à mon avis est insuffisant pour convaincre certains irréductibles. Vous seriez encore plus percutant en citant des "applications" concrètes de la pauvreté. Par exemple le fait que personne ne meurt plus de faim en France, ni même ne souffre d'insuffisance calorique comme beaucoup de français du début du XXème siècle. Tous les pauvres d'aujourd'hui, à part les immigrés récents non encore intégrés, ont des conditions de logement bien supérieures en qualité à celles des français moyens d'avant la seconde guerre mondiale. etc etc
    Vous voyez qu'on peut être d'accord, même si on s'est vivement affrontés il y a quelques années à propos de motos dans les chemins de randonnée.
    Bien cordialement
  • Commentaire par Jean Rauscher
    01/16/2013 at 02:12
    Bravo Anthony !
    Tu es courageux de te lancer dans une telle démonstration. Les éléments sur lesquels tu bases ton article sont indiscutables.
    J'apporterais néanmoins deux bémols, au risque d'être hors sujet :
    - Les jeunes perçoivent la pauvreté au travers de ce qu'ils appellent la précarité de l'emploi. 25% d'entre eux n'ont pas d'employeur (et ce n'était plus le cas depuis des décennies) et ils ont la perception que l'avenir est bouché pour eux. La législation du travail empêche les jeunes de remplacer les anciens qui s'accrochent à leur poste de travail en attendant la retraite. Les jeunes sont donc les premiers à souffrir de la crise économique et à être maintenus dans des conditions d'emploi précaires.
    - J'ai 50 ans. Quand je suis sorti de l'école, mon premier salaire m'a permis de louer un studio à Paris, d'acheter une petite voiture à crédit et de garder un peu d'argent pour sortir. Aujourd'hui, ce n'est plus imaginable. Même les jeunes ingénieurs Polytechniciens que j'embauche à Paris (au niveau de salaire du marché) sont obligés de vivre chez leur parents car leur salaire ne leur permet pas de vivre de façon autonome. Ce n'est pas vraiment de la pauvreté mais il est certain que le pouvoir d'achat des jeunes d'aujourd'hui a vraiment baissé. Pourquoi ? J'ai quelques idées mais là, je serai vraiment hors sujet !
  • Commentaire par John
    01/16/2013 at 02:14
    Bravo Anthony !
    Tu es courageux de te lancer dans une telle démonstration. Les éléments sur lesquels tu bases ton article sont indiscutables.
    J'apporterais néanmoins deux bémols, au risque d'être hors sujet :
    - Les jeunes perçoivent la pauvreté au travers de ce qu'ils appellent la précarité de l'emploi. 25% d'entre eux n'ont pas d'employeur (et ce n'était plus le cas depuis des décennies) et ils ont la perception que l'avenir est bouché pour eux. La législation du travail empêche les jeunes de remplacer les anciens qui s'accrochent à leur poste de travail en attendant la retraite. Les jeunes sont donc les premiers à souffrir de la crise économique et à être maintenus dans des conditions d'emploi précaires.
    - J'ai 50 ans. Quand je suis sorti de l'école, mon premier salaire m'a permis de louer un studio à Paris, d'acheter une petite voiture à crédit et de garder un peu d'argent pour sortir. Aujourd'hui, ce n'est plus imaginable. Même les jeunes ingénieurs Polytechniciens que j'embauche à Paris (au niveau de salaire du marché) sont obligés de vivre chez leur parents car leur salaire ne leur permet pas de vivre de façon autonome. Ce n'est pas vraiment de la pauvreté mais il est certain que le pouvoir d'achat des jeunes d'aujourd'hui a vraiment baissé. Pourquoi ? J'ai quelques idées mais là, je serai vraiment hors sujet !
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